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La Filière des enfants       pt.1 pt.2       Glossaire
Jean-François Elberg
Par Alix De Jessé

Jean-François Elberg est né en France en 1938, à la veille de la Deuxième Guerre Mondiale. Sa famille maternelle avait rejoint la France à la fin du XIXe siècle pour échapper aux pogroms de la Russie tsariste. Sa famille paternelle, quant à elle, avait émigré de Roumanie. « La filière des enfants » est son deuxième livre, et raconte une histoire découverte presque par hasard, il y a quelques années, au détour d'une lecture…

Alix de Jessé : La filière des enfants retrace la vie de votre père, sa fuite de Roumanie, son arrivée dans le Paris tellement rêvé, ses études de médecine, la rencontre avec votre mère…

Jean-François Elberg : Oui, ils se sont rencontrés à Lille, se sont épousés, et ma soeur Annie est née en 1933. Ils ont d'abord vécu une vie heureuse, dans ce pays d'accueil qu'était la France des années 30.
Malheureusement les choses ont commencé à se détériorer petit à petit, avec l'augmentation du chômage, de la xénophobie, et du racisme. Je suis venu au monde en 1938 et ma mère a disparu dix jours après ma naissance, à la suite d'une embolie pulmonaire. Mon père s'est donc retrouvé seul avec deux enfants et, à partir de là, les choses ne sont pas allées en s'améliorant. La montée du racisme, de l'antisémitisme, de la xénophobie a fait que, progressivement, il a perdu sa clientèle. à cette époque, il y avait des manifestations xénophobes jusqu'à l'intérieur de la faculté de médecine ! Puis la guerre a éclaté. Après la défaite, le régime de Vichy a voté progressivement toutes sortes de lois interdisant aux juifs de faire quoi que ce soit. Il s'est retrouvé déchu de ses droits, exclu de l'ordre des médecins, obligé de travailler au noir chez un cousin comme kinésithérapeute pour pouvoir subsister. C'est à ce moment que ma soeur et moi avons quitté Paris avec ma grandmère, c'était l'exode. Mon père a été arrêté au cours d'une rafle et interné à Drancy. C'est là que commence cette histoire qui, à mon avis, est un exemple d'héroïsme. Il s'est vite rendu compte que Drancy était une antichambre des camps de la mort. Devenu médecin de l'infirmerie du camp, il s'est attaché à trouver un moyen pour sauver les enfants internés.

AJ : Comment peut-on décider, dans le camp de Drancy, de sauver des enfants alors que sa propre vie est en suspens ?

JFE : Avec quelques collègues médecins de l'infirmerie, l'idée fut de se servir de la peur que les nazis avaient de la contagion, aussi,en véritables faussaires de la médecine, les médecins ont appris aux enfants à simuler des maladies graves. Une simple angine, par exemple, pouvait facilement passer pour un cas grave de scarlatine. Les Allemands transféraient alors les enfants à l'Hôpital Rothschild et de là, un réseau les faisait évacuer. Ils ont ainsi sauvé des dizaines et des dizaines d'enfants. Malheureusement, lors d'une visite à l'hôpital Rothschild, les nazis découvrirent cette filière dénoncée par un médecin français. Les membres du réseau furent déportés : Mon père est parti pour le camp d'Auschwitz dont il n'est jamais revenu.AJ : A cette époque, vous aviez quatre ou cinq ans tout au plus et vous viviez avec votre grand-mère maternelle. Avait-elle pu rester en contact avec son gendre ?

JFE : Non, bien sûr… Cette histoire, je ne la connaissais pas et j'avais d'ailleurs décidé de tirer un trait sur toute cette période de ma vie. à l'âge de cinq ans, j'ai moi-même été arrêté en compagnie de ma soeur et de ma grand-mère par la milice française de Lyon. Nous avons dû notre survie à ma soeur qui a récité le « Je vous Salue Marie » devant l'un des miliciens. Du coup, cela a jeté le doute dans leurs esprits et, pendant qu'ils allaient chercher une voiture pour nous emmener à la Kommandantur, nous nous sommes échappés par le jardin de la maison, et nous sommes allés chez le curé du village, le père Curtelin. Chance ! Celui-ci faisait partie d'un réseau de résistance. Une fois la guerre terminée, revenu à Paris, j'ai vécu chez mes grands parents, puis seul avec ma soeur. J'ai plus tard choisi la médecine, et je suis devenu chirurgien.

AJ : Comment avez-vous pu découvrir le passé de votre père puisque vous ne vouliez pas faire de recherche sur cette époque ?

JFE : J'avais décidé, en effet, de ne plus penser à cette période de ma vie, mais il y a 5 ans, en vacances dans le Sud de la France, allant à la plage, j'ai acheté un livre de Bruno Halioua, « Blouses Blanches, Etoiles Jaunes ». Bruno se trouve être l'un de mes collègues, médecin et historien de son état. Bruno raconte dans cet ouvrage le destin des médecins juifs, immigrés en France dans les premières décennies du siècle. J'y ai retrouvé l'histoire de mon père. Cela m'a bouleversé. J'ai téléphoné à Bruno qui m'a demandé d'appeler celle qui avait été la compagne de mon père dans les camps de Drancy et d'Auschwitz, Eva Tichauer. Elle est toujours vivante. C'est ainsi que j'ai décidé de faire des recherches sur l'histoire de mon père que j'ai ensuite relaté dans mon livre « La Filière Des Enfants ».
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Jean-François Elberg was born in 1938, just before World War II. His mother's family had moved to France at the end of the 19th Century to escape the pogroms of Tsarist Russia. His father was a Romanian émigré. The Children's Passage is his second book and tells a story Elberg accidentally came across a few years ago.

AJ: The Children's Passage tells your father's life story -- his flight out of Romania, his long-awaited arrival in Paris, his study of medicine, how he met your mother…

JFE: Yes, they met in medical school, got married, and my sister Annie was born in 1933. At first they were happy in their adopted home, in 1930s Paris. Unfortunately things started to fall apart little by little: as unemployment rates went up, so did xenophobia and racism. I was born in 1938 and my mother passed away 10 days later from a pulmonary embolism. My father ended up raising two children on his own; things started going downhill from that point. He lost his clientele because of the bad press Jewish doctors were getting. Even back in medical school people were having anti-Jewish and anti-foreigner demonstrations. Then war broke out, and after the defeat, the Vichy regime started issuing laws forbidding Jews to do anything whatsoever. My father found himself stripped of his rights and of his license to practice. To survive, he was forced to work under the table as a physical therapist at a cousin's practice. At that point my sister and I left Paris with my grandmother -- it was the exodus. My father was arrested during a raid, transferred to the Vélodrome d'Hiver and sent to the Drancy internment camp. That's where the story began; I believe it's an example of heroism. He quickly figured out that Drancy was a death camp and not a transit center, and he decided to do everything he could to save his children.

AJ: How can one decide, in a concentration camp, to save children while one's own life is in danger?

JFE: Don't forget that my father was a doctor and the Germans needed him badly. He and a few colleagues put together an infirmary and taught the children to fake illness. For example, a common cold could easily pass for scarlet fever. The Germans, who feared contagion, transferred the sick children to the Rothschild Hospital and from that point there were networks in place to evacuate them. Unfortunately a French doctor told on him and on the network, and my father was sent to Auschwitz, never to come back alive.

AJ: At that time you were four or five years old and lived with your maternal grandmother. Could she have kept in touch with her son-in-law?

JFE: Of course not. I wasn't aware of this story, and in any case, I had decided to forget about that very difficult time. When I was five years old, the French militia arrested me along with my sister and my grandmother. We owe our life to my sister: she said a “Hail Mary” in front of one of the militiamen. This cast doubt in their minds, and while the militia was getting a car to take us to the Kommendatur, we escaped through the garden. We were rescued by a network that happened to have a priest, Abbé Pierre Curtelin, at its head. Once the war ended, I lived with my grandparents and then alone with my sister. Later I decided to study medicine and became a surgeon.

AJ: How did you discover your father's story if you didn't want to do any research on that time period?

JFE: I had indeed decided to stop dwelling on that time in my life, but five years ago I was on my way to the beach and I bought a book entitled White Coats, Yellow Stars by Bruno Halioua. The author, a doctor and historian, happened to be one of my father's former colleagues. In his book Bruno tells the story of Jewish doctors who were first interned, and then deported. This was my father's unknown story. I was devastated. I called Bruno, and he asked me to call the woman who had been my father's partner at Drancy and Auschwitz. She was still alive. This is how I decided to do research on my father's story, which I tell in my book, The Children's Passage.
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Broché (J. C. Lattès, Paris) 14 x 21,6 cm, 214 pp., 19,95 US$ Glossaire disponible de Beach Lloyd Publishers, LLC.
La Filière des enfants $19.95

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